I- Forme des ondes.

 

I-1. Importance du fondamental.

 

Dans son article sur la flûte à bec, Michèle Castellengo [1] affirme qu’une des caractéristiques du timbre de la flûte, qu’elle soit traversière, oblique ou à bec est le fait que l’énergie est concentrée à 80 ou 90% dans le fondamental. Ceci se traduit par une forme d’onde quasi sinusoïdale puisque peu perturbée par les harmoniques d’ordre supérieur. Pour s’en convaincre, on peut observer au paragraphe II-2.3.de la partie précédente que lorsqu’il n’y a que le fondamental dans le spectre, la courbe obtenue est sinusoïdale, alors que lorsqu’on ajoute des harmoniques 3, 5, 7,... la courbe reste périodique mais s’éloigne de la sinusoïde. A titre d’exemple, j’ai enregistré un LA médium joué à la flûte à bec soprano et ce même LA joué au violoncelle, comparons les formes d’onde obtenues avec le logiciel :

 

La médium - flûte à bec

 

La -  violoncelle

 

Remarque : Les courbes ayant été dilatées, les échelles ne sont pas significatives.

 

Il apparaît d’emblée que les formes d’ondes sont très différentes. L’onde associée à la flûte à bec est une sinusoïde presque parfaite tandis que celle du violoncelle est beaucoup plus perturbée. On peut en déduire que les harmoniques qui s’additionnent au fondamental perturbent peu l’onde émise par la flûte. L’intensité des harmoniques est donc faible par rapport à celle du fondamental.

 

 

 

 

 

I-2. Effet de battements.

 

            Il est un phénomène que l’on rencontre en musique d’ensemble, c’est le phénomène de battement. Il est très facile de le rencontrer lorsque l’on cherche, par exemple, à faire jouer ensemble deux flûtes soprano. Quand elles ne sont pas bien accordées et qu’elles tentent de jouer une même note, on entend très distinctement un son étranger à l’accord attendu. Ce son est caractéristique du phénomène de battements. Expérimentalement, on remarque que les battements perçus sont modifiés quand les hauteurs des notes jouées se rapprochent. Lorsque les deux instruments sont pleinement accordés, le phénomène de battement disparaît complètement.

 

L’expression des ondes stationnaires dans le tuyau est la suivante :

 

x(x,t)= 2A cos w((L-x)/c).sin w(t-L/c)

 

Que l’on peut éventuellement réécrire :

 

x(x,t)= A’(t). cos w((L-x)/c) avec A’(t)=2A. sin w(t-L/c)

 

A’(t) peut être considéré comme l’amplitude de l’onde stationnaire, cette amplitude variant au cours du temps.

La fréquence caractérisant la hauteur de la note associée étant : f =w/2p.

Supposons que deux musiciens tentent de jouer une même note caractérisée par une fréquence f0 et donc une pulsation w0=2p.f0, sans y parvenir réellement. L’un des musicien joue une note de pulsation w0-Dw, l’autre une note de pulsation w0+Dw (avec Dw<<w0).

Supposons pour simplifier que les amplitudes A’(t) des deux ondes sont identiques, ce qui ne modifie pas beaucoup le problème. L’auditeur entend alors une onde acoustique xa qui est la somme des deux ondes émises  x1 et x2 :

 

xa(x,t)= x1(x,t)+x2(x,t)

 

Ûxa(x,t)= A’(t). cos [(w0-Dw )(L-x)/c]+ A’(t). cos [(w0+Dw)(L-x)/c]

 

Ûxa(x,t)= A’(t). {cos [(w0-Dw ) (L-x)/c] +  cos [(w0+Dw)(L-x)/c]}

 

Ûxa(x,t)= 2A’(t) cos [w0. (L-x)/c] cos [Dw. (L-x)/c]

 

Ûxa(x,t)= 2A’’(t) cos [w0. (L-x)/c]

 

Avec A’’(t)= 2A’(t) cos [Dw. (L-x)/c]

 

Tout se passe pour l’auditeur comme s’il recevait une onde de pulsation w0 mais dont l’amplitude varie à la pulsation Dw. Le phénomène est interprété par le cerveau comme la superposition de deux phénomènes périodiques, l’un correspond à la note espérée par les musiciens à la pulsation w0, l’autre est un phénomène de pulsation Dw interprété comme un son à cette pulsation. Plus l’écart des deux notes effectivement jouées est petit, plus Dw est petit, donc plus la fréquence du phénomène correspondant est petite. Lorsque les deux notes sont justes, Dw est nul, l’amplitude de l’onde reçue A’’ n’est plus modulée.

 

On peut visualiser ces résultats en observant la forme de l’onde lors d’un phénomène de battements. J’ai réalisé un enregistrement de deux flûtes soprano jouant un la 880Hz en produisant un phénomène de battement puis en accordant progressivement les flûtes.

Voici les différentes formes d’ondes obtenues en dilatant plus ou moins les échelles :

 

 

 

 

l

Phénomène de battement, visualisation de l’enveloppe des battements à la pulsation Dw, donc de longueur d’onde l=2pc/Dw.

 

                                                                    2l0

 


Phénomène de battement, intérieur de l’enveloppe à la pulsation w0, donc de longueur d’onde l0=2pc/w0. (l0<l car Dw<<w0).

 

 

 

Phénomène de battement, évolution lors de l’accord, Dw diminue donc l augmente

 

 

L’allure des courbes obtenues confirme la validité des calculs et l’expression des ondes proposés dans la partie précédente. Il faut tout de même remarquer que dans le calcul, on a supposé que  les amplitudes des deux ondes émises étaient les mêmes. Or les amplitudes dépendent de sin w(t-L/c), donc comme les pulsations sont différentes (w0+Dw) et  (w0-Dw) les amplitudes n’ont pas la même évolution au cours du temps. Parfois l’amplitude de la première onde jouée sera nulle et l’auditeur ne percevra plus le phénomène de battement, parfois celle de la seconde onde sera nulle et il n’y aura pas de battements, parfois enfin les amplitudes seront maximales et le phénomène de battement sera très marqué. Cette remarque explique en partie le fait que la  seconde courbe présentée n’est pas très régulière. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que les ondes émises ne sont pas strictement sinusoïdales.

 

 

            II- Harmoniques de la flûte à bec

 

Si les harmoniques sont moins importants dans les flûtes que dans certains autres instruments, ils n’en sont pas pour autant inexistants ! Ils sont très visibles dans le spectre suivant et montent souvent très haut dans le cas de la flûte à bec :

 

 

Spectre du LA 880 médium de la flûte à bec soprano Moeck

 

Notons dans cette illustration que le premier pic, qui correspond au fondamental, est très élevé (le pic centré sur 0 Hertz correspond à du bruit de fond). Entre le premier et le second pic, l’intensité chute d’environ 15 dB (décibel). Cela revient à dire que le second harmonique est 32 fois moins puissant que le premier[2]. Ce spectre est conforme à l’affirmation de Michèle Castellengo quant au fait que l’énergie est à 80% concentrée dans le fondamental. Cependant la présence de nombreux autres pics, confirme l’existence de nombreux harmoniques.

A titre de repère, rappelons que l’oreille humaine n’entend que les sons compris entre 20 et 20000 Hertz. On a choisi ici de représenter un spectre qui balaye les fréquences allant de 0 à 10000 Hertz, tous ces harmoniques sont donc perçus lorsque l’on entend un LA joué à la flûte à bec et leur rôle est très important car ils contribuent au timbre de l’instrument.

En mesurant la position des différents pics obtenu sur le spectre on peut vérifier que le fondamental est situé à la fréquence f1=880Hz, ce qui correspond bien au LA joué, on vérifie également, avec une très bonne précision que les harmoniques sont situés aux fréquences 2f1, 3f1, 4f1....comme prévu par la décomposition en séries de Fourier.

 

 

III- Evolution du spectre lors d’un chromatisme

 

L’analyse spectrale permet-elle de différencier les doigtés de la flûte à bec ? Dans son article, Michèle Castellengo[3] affirme que les doigtés de fourche sont une caractéristique de la flûte a bec. On entend par doigtés de fourche le fait de reboucher des trous inférieurs à un ou deux trous laissés ouverts. L’usage de ces doigtés rend le jeu de la flûte à bec plus difficile surtout lorsqu’ils doivent être enchaînés rapidement. Les flûtes traversières, quant à elles,  possèdent des clés qui leurs permettent de les éviter. Afin de mettre en évidence cette caractéristique Michèle Castellengo[4] a cherché à obtenir les spectres d’une gamme chromatique jouée legato à la flûte à bec d’une part et à  la flûte traversière d’autre part afin d’en établir une comparaison. J’ai pour ma part tenté d’obtenir à mon tour le spectre pour la flûte  bec. On présente ci-dessous les spectres obtenus :

 

 

 

 

Evolution du spectre lors d’une gamme chromatique  jouée à la flûte à bec et à la fûte traversière. Caractérisation des doigtés de fourches de la flûte à bec. (M. Castelengo.)

 

 

 

Evolution du spectre lors d’une gamme chromatique  jouée à la flûte à bec Caractérisation des doigtés de fourche de la flûte à bec.

 

 

Ces spectres sont différents de celui utilisé précédemment  car on a choisi de voir l’évolution des harmoniques en fonction du temps c’est-à-dire au fur et à mesure du déroulement de la gamme. L’intensité des harmoniques est représentée ici par l’épaisseur des traits. Plus l’intensité est grande, plus le trait est épais. Dans cette présentation, l’échelle de fréquence se retrouve en ordonnée. Le fondamental est donc en bas et les harmoniques se répartissent au-dessus, en fonction de leur fréquence.

Il apparaît tout de suite que le spectre de la flûte traversière est plus riche en harmoniques. Ces derniers ont une intensité plus grande et se répartissent de façon continue. Une telle homogénéité ne se retrouve pas dans le spectre de la flûte à bec. Dans ce cas, le seul trait continu sur toute l’étendue de la gamme est celui du fondamental. A chaque fois que le son correspond à un doigté de fourche (signalés par des astérisques sur le graphique), on constate un appauvrissement brutal en harmonique. Cette discontinuité caractérise la flûte à bec : son timbre varie en fonction du doigté utilisé.

On peut se demander à quoi est due cette chute du nombre d’harmoniques lors de l’exécution d’un son de fourche. Le modèle simplifié établi en première partie de ce mémoire peut nous donner quelques éléments de réponse : Le doigté de fourche installe un trou ouvert au milieu du tuyau. Ce trou impose donc à son endroit un nœud de pression. Or on a vu, au premier chapitre, qu’à un nœud de pression, correspond un ventre de déplacement. Seules les harmoniques dont la longueur d’onde permet d’avoir un ventre de déplacement à l’endroit du trou peuvent s’établir ; les autres sont dans ce modèle physiquement impossible donc disparaissent. Bien entendu, cette explication est très succincte car de nombreux autres facteurs n’ont pas été pris en compte.

 

 

           

 

IV- Mise en évidence de la différence entre les registres.

 

Dans le paragraphe précédent, nous avons expliqué les brusques diminutions du nombre d’harmoniques par la présence des doigtés de fourche. Si on observe le spectre de la page précédente, on constate cependant que cet appauvrissement de timbre est présent sur  toute la fin de la gamme, à partir du LA aigu. On ne peut donc plus, sur le haut du spectre,  expliquer les chutes par la seule présence des doigtés de fourche puisque les harmoniques disparaissent aussi pour les doigtés « normaux ». Cette modification du spectre s’explique par les changements de registre.

 

On définit les différents registres d’utilisation de la flûte à bec par les partiels utilisées.  Lorsque l’on joue un LA le plus grave possible sur la flûte en FA (alto), il correspond au premier registre. Ce son se compose d’un fondamental (LA grave) et d’une série d’harmoniques (LA à l’octave supérieur puis MI situé une octave plus une quinte au-dessus du fondamental…). Lorsqu’ensuite on joue le LA  à l’octave supérieure, cela revient à jouer le second harmonique du premier LA, on dit que cette note appartient au deuxième registre. Ensuite lorsqu’on joue le MI (une octave + une quinte) au-dessus du premier LA, cela correspond au troisième harmonique donc au troisième registre. En réalité du fait de la fabrication de la flûte à bec à huit trous, l’extension des registres est légèrement différente d’une octave pour permettre des recouvrements de registres et limiter les modifications de timbre, cela permet également de limiter l’utilisation de doigtés compliqués notamment lors des trilles aux frontières des registres. Selon Philippe Bolton, facteur de flûte à bec que j’ai interrogé, on considère que le premier registre sur une flûte en FA s’étend du FA grave au deuxième SOL, le deuxième registre s’étend du deuxième SOL dièse au deuxième RE, le troisième registre s’étend du deuxième MI bémol au troisième FA. Le troisième SOL appartient au quatrième registre.

 

Pour faciliter l’émission de notes dans les registres supérieurs de la flûte, on a ajouté sur la flûte un trou que le pouce peut boucher ou non, on le nomme parfois trou de registre[5]. Tant que le pouce bouche le trou on obtient la note fondamentale. Pour passer au registre supérieur, on peut souffler plus fort (mais c’est très difficile d’émettre un son propre de cette manière) ou bien provoquer l’ouverture d’une petite partie du trou de registre ce qui  impose de nouvelles conditions aux différentes ondes pouvant s’installer dans la flûte; l’établissement du fondamental devient impossible et on obtient une note du registre supérieur.

Si le trou de registre aide grandement le musicien à jouer les aigus, il a aussi l’inconvénient de modifier le timbre de l’instrument. Observons, pour s’en convaincre, le spectre obtenu en jouant successivement un LA médium, un LA aigu et un MI aigu à la flûte à bec alto :

 


 

Notes du 1er, 2ième et 3ième registre

 

                                   la4                                          la5                                          mi6

 

 

            Pour faciliter la lecture, on a gommé  les parasites obtenus sur le spectre pour ne conserver que les harmoniques facilement identifiables. On constate que les spectres des la5 et mi6 sont constitués de certains des harmoniques du spectre du la4. On vérifie bien la nomenclature proposée par P.Bolton, le la5 ayant pour fondamental le premier harmonique du la4 (une octave au-dessus) appartient au deuxième registre, le mi6 ayant pour fondamental le  second harmonique du la4 (une octave plus une quinte au-dessus) appartient au troisième registre. On constate également que les spectres des second et troisième registres paraissent plus pauvres que celui du premier registre, ce qui peut expliquer la sensation de changement de timbre.

 

V- Influence de la position de la bouche sur le timbre

           

V-1.  Evolution du spectre en fonction de la position du palais

 

Par souci d’améliorer la qualité du son, le flûtiste travaille souvent sur la position de sa bouche. De la même manière que le timbre du chanteur varie en fonction des voyelles qu’il prononce, le timbre de la flûte à bec peut être sensible à la façon dont le musicien positionne son palais lorsqu’il souffle dans son instrument. Afin de maîtriser cette notion, le flûtiste se représente souvent les différents timbres qu’il obtient par des images très personnelles : certains parleront de chaleur, d’autre imagineront des couleurs...  Jouer jaune peut alors, par exemple, signifier tendre la bouche de façon à élever la position du palais et obtenir un timbre plus riche.

Il est donc intéressant de savoir si cette idée, qui se fonde essentiellement sur des sensations personnelles, est justifiable par la physique. La variation de position du palais influence-t-elle  le timbre de façon suffisamment éloquente pour que cela puisse apparaître sur un spectre ?  Pour y  répondre, j’ai enregistré un Do médium à l’alto, sur trois flûtes différentes. Au fur et à mesure  que je jouais, j’ai pris soin de prendre une position de palais de plus en plus haute. Le traitement de cet échantillon par l’ordinateur m’a permis d’obtenir le spectre suivant :

 

 

 

Evolution du timbre sur un do joué à la flûte à bec alto.

 

 

Moeck                              Yamaha                                  Aesthé

 

 

On constate, au fur et à mesure de mon effort sur ma position de bouche, que des nouveaux harmoniques apparaissent. Cela vient conforter les impressions des musiciens. En revanche, cette expérience ne permet pas vraiment de visualiser les qualités d’un instrument. En effet, les spectres des trois flûtes se ressemblent  beaucoup. Certes, on observe que le dernier spectre correspondant à ma meilleure flûte (Aesthé) a peut être la plus belle évolution mais on voit peu de différences entre ma flûte en bois Moeck et ma flûte en plastique Yamaha. Sans compter que pour réaliser l’échantillon, j’ai recommencé trois fois l’exercice sur mon palais. Il est certain que je ne pouvais pas reproduire cet effort à l’identique. Enfin, il m’était peut être plus facile de réaliser ce spectre avec ma flûte Aesthé, puisque c’est l’instrument avec lequel j’ai le plus travaillé cette notion !

Si on voulait mettre en évidence la réponse de différents instruments en fonction de la position de la bouche, on pourrait envisager l’emploi d’une « bouche artificielle ». Cette dernière permet de reproduire à l’identique un certain nombre de facteurs tels que la taille de la cavité buccale, sa forme, le débit d’air, sa direction... Autant de paramètres de jeu qui influent sur le résultat et qui sont impossibles à contrôler séparément par un véritable instrumentiste. Une telle «bouche»  a par exemple été utilisée par les physiciens Jean-Pierre Dalmond, Joël Gilbert et Jean Kergomard lors d’expériences sur l’harmonicité d’une trompette[6]. Un tel système leur permettait de réaliser des mesures inaccessibles avec un musicien : tenue de la même note pendant plusieurs secondes, conservation des paramètres de jeu d’une note à l’autre, mesures de pression et de vitesse à l’intérieur du bec ou de la cavité buccale, suivi du mouvement des lèvres...

 

 


V-2. Présentation et reproduction de l’expérience de Dan Laurin[7]

 

Le flûtiste Dan Laurin a mené, une recherche sur l’influence de la position de la bouche sur le timbre de ses flûtes à bec. En tant qu’instrumentiste, dans le but d’améliorer son interprétation, il travaille cette notion depuis plus de 25 ans. En qualité de professeur, il a eu du succès en transmettant à ses élèves les outils pour changer délibérément le timbre d’une flûte. Cependant, la rencontre de quelques personnes sceptiques à l’idée qu’une position voccale puisse affecter le timbre l’a motivé pour formuler ses pensées d’une façon plus précise. Afin de légitimiser ses dires, il a participé à une expérience scientifique qu’il a décrite dans l’article cité en référence. Son objectif y est d’étudier le lien entre différentes configurations de son appareil vocal (forme de la bouche, position du palais et de la langue...) et le timbre de son instrument. Selon lui, une même «configuration vocale » (vocal tract) dans un même registre produit les mêmes effets de timbre quelle que soit la flûte utilisée. Son but est d’étudier ces différentes configurations vocales et leurs effets en termes d’analyse spectrale. Dans cet objectif, il souhaite les comparer aux configurations vocales employées pour émettre des sons oralement, par exemple des voyelles. L’avantage de telles comparaisons est qu’il est ensuite facile d’imiter les configurations correspondantes. Il y a cependant une difficulté qui réside dans le fait qu’à la différence de la parole, le son est produit à l’extérieur du corps humain par l’intermédiaire de l’instrument.  Aussi est-il plus compliqué de sentir les effets d’un effort vocal sur le son émis par la flûte que sur le son émis par la voix directement.

 

Pour cette étude, Dan Laurin s’est associé à deux physiciens J. Wolfe et J. Smith ainsi qu’à un technicien J.Tann. Avec leur aide il a conçu  et mis en œuvre des expériences pour formaliser ses idées. Il y a deux choses à expérimenter : d’une part préciser l’effet des différentes configurations vocales sur le timbre du son émis et vérifier que cet effet est reproductible lorsqu’on change d’instrument, d’autre part voir si cet effet est le même que celui obtenu sur le spectre de la voix directement.

Auparavant l’équipe des physiciens avait mis au point, pour d’autres recherches[8], un dispositif permettant de décrire la configuration vocale en donnant le spectre du son qui serait émis par la voix dans cette configuration. Ce spectre correspond, dans les expériences de Dan Laurin, à celui du signal entrant dans la flûte (il ne correspond pas à un signal sonore effectivement émis, mais à celui d’un signal qui serait émis par la voix avec la même configuration vocale). En plus de ce dispositif, à l’aide d’un microphone fixé sur la flûte, ils pouvaient visualiser le spectre du son de l’instrument. En observant le spectre du signal sortant de la flûte, on peut visualiser l’effet des configurations vocales sur le timbre de l’instrument. En comparant les spectres des signaux entrant et sortant de la flûte, on peut voir si les effets d’une configuration donnée sont les mêmes sur la voix et sur le timbre de l’instrument. Si c’est le cas la comparaison des configurations vocales avec celles utilisées pour les voyelles serait justifiée.

 

Pour simplifier le problème, les expérimentateurs ont étudié deux configurations vocales distinctes nommées thick (épais) et thin (fin). La configuration thick est obtenue lorsque le musicien imite la voyelle a (comme dans come), le palais étant relativement relaxé. La configuration  thin, quant à elle,  correspond à l’imitation d’un bâillement, l’interprète cherchant à lever au maximum la position de son palais.

La description des configurations en terme de voyelles par Dan Laurin mène dans un premier temps l’équipe scientifique dans une mauvaise direction : A ce stade de l’expérience le montage permet d’examiner l’étendue des fréquences qui caractérisent les différentes voyelles c’est à dire entre 300 Hz et 3.5 kHz. Ils ont alors remarqué que dans cette gamme de fréquences, les deux configurations vocales retenues produisent un immense changement dans le spectre de la cavité buccale mais n’instaurent pas de différences significatives et reproductibles dans le spectre du son de la flûte. Si la configuration vocale doit agir de façon similaire sur la voix et sur la flûte, il faut regarder dans une gamme de fréquence beaucoup plus élevée. Les changements sur le timbre de la flûte sont peut être plus marqués dans les hautes fréquences.

Les scientifiques affichent donc les spectres de la flûte dans une échelle plus vaste, jusqu’à 10 kHz. Tous les spectres montrent alors des différences reproductibles claires sur une grande série de notes et d’instruments. Les deux spectrogrammes suivants ont été retenus :

 

 

 

Le timbre « thin » présente un graphe complètement différent de celui du timbre « thick ». Beaucoup de ses harmoniques sont plus intenses. On a mesuré sur les graphes obtenus par Dan Laurin, les hauteurs des différents pics :

 

 

 

Thick (en dB)

Thin (en dB)

Fondamental

-10

-17

1ère harmonique

-44

-42

2nde harmonique

-53

-32

3ième harmonique

-62

-57

4ième harmonique

-51

-40

5ième harmonique

bruitée

-61

6ième harmonique

bruitée

-60

 

 

On remarque que le pic du fondamental est moins intense sur le timbre «  thin ». En revanche, les harmoniques de ce dernier sont nettement plus intenses. Les différences d’amplitudes sont très significatives au niveau des harmoniques 2 et suivantes, les harmoniques 5 et 6 étant complètement inexistantes dans le timbre « thick ».  En conclusion, on peut déjà dire que le timbre « thin » réparti mieux l’énergie entre le fondamental et les harmoniques alors que le son « thick » concentre l’énergie dans le fondamental et dans le bruit.

Le bruit, représenté ici par l’épaisseur du graphe est considérablement réduit dans le timbre « thin ».

Si on compare les graphiques de façon plus globale, on remarque qu’ils diffèrent considérablement au delà de 5 kHz. C’est apparemment l’endroit où le timbre change de la façon la plus audible. Le timbre « thick » est caractérisé par un bruit important. Ce bruit correspond, à l’audition, au bruit blanc dans le vocabulaire des flûtistes, c’est à dire à la partie venteuse qui accompagne plus ou moins  l’émission d’une note à la flûte à bec. Il est présent tout le long du graphe jusqu’aux fréquences de 10kHz. Bien que les harmoniques soient aussi présentes au delà de 5 kHz, le bruit est toujours plus large et cache ces dernières. Au contraire, le bruit est très atténué dans le spectre du son « thin », on peut donc voir apparaître sur ce dernier des pics harmoniques marqués dans la tranche des 6-8 kHz.

 

La suite de l’expérience consiste à rechercher si on peut voir des résultats similaires sur les spectres du signal de la cavité buccale. L’équipe de scientifiques a réalisé une série d’expériences dans lesquelles ils affichaient simultanément le spectre du timbre de la flûte et celui de la cavité buccale de Dan Laurin pendant qu’il jouait et exécutait les deux configurations vocales opposées

 Les spectres de la cavité buccale montrent alors aussi des différences notables dans la région des 6-8 kHz. Des essais sur une gamme chromatique leur ont permis de constater que le résultat ne dépendait pas du ton. En équipant une seconde flûte en la 403 du même dispositif, ils ont pu retrouver des résultats similaires :

 

 

 

 

 


En conclusion, au vu de ces résultats, on peut dire que la production de différents timbres à la flûte à bec est liée à l’effort fait par l’instrumentiste pour modifier la forme de sa cavité buccale. Mais il s’agit d’un lien complexe plus que d’un effet direct puisque dans un spectre vocal, les différences sur le timbre des différentes voyelles se retrouvent surtout dans la zone de fréquences inférieures à 3.5 kHz ; tandis que le timbre de la flûte à bec est davantage modifié dans des régions de hautes fréquences. Dans tous les cas, on retient que différentes configurations vocales associées à différentes voyelles produisent des réponses différentes dans les hautes fréquences et  donc des effets de timbre dans le son de la flûte à bec.

            L’interprétation de ces variations de timbre par des modifications de la configuration vocale proposée par les expérimentateurs repose essentiellement sur la notion de turbulence évoquée dans la première partie de ce mémoire. En complément de leurs expériences, ils ont effectué des mesures de pression sur le flux d’air entrant dans la flûte. Ils ont ainsi pu observer que dans la configuration thin, le musicien envoie un jet d’air dont la pression est 10% inférieure à celle nécessaire pour la configuration thick. Cette différence de pression fait que l’on crée un écoulement dans la fenêtre moins turbulent dans la configuration thin que dans la configuration thick.  Cette différence entre les jets au niveau de la fenêtre peut expliquer, selon eux, l’apparition d’un bruit plus important dans la configuration thick.

 

J’ai pour ma part voulu voir si je pouvais retrouver certains des résultats de Dan Laurin et de ses associés. Etant donné que je n’avais pas le dispositif permettant d’afficher le spectre de la cavité buccale (Dan Laurin affirme dans son article qu’il s’agit d’une technologie unique ?) je me suis contentée d’afficher les spectres du son de ma flûte à bec. Je me suis efforcée pour mes deux échantillons de produire deux configurations vocales distinctes ( palais relaxé et palais élevé ) sur un do6 :


 

 

Do6 palais relaxé (C6 thick)

 

 

 

 

Do6 palais élevé (C6 thin)

 

 

Visuellement il apparaît bien que dans la configuration thin, on obtient des pics mieux découpés et beaucoup plus marqués que dans la configuration thick. Pour confirmer cette impression visuelle on a effectué des mesures sur les amplitudes de ces différents pics.

 

 

 

Thick (en dB)

Thin (en dB)

Fondamental

0

0

1er harmonique

-22,5

-22

2nde harmonique

-19

-13

3ième harmonique

-35

-30

4ième harmonique

-21

-21

5ième harmonique

-32

-29

6ième harmonique

-30

-30,5

7ième harmonique

-35

-30

8ième harmonique

-40

-35

 

 

Contrairement à celui de Dan Laurin, l’analyseur de spectre dont je me suis servi pour cette expérience utilise une référence relative pour les mesure d’intensité, aussi sur les deux spectres le fondamental est placé à 0dB. Il nous est donc impossible de les comparer. En étudiant les amplitudes des différents pics secondaires, on observe que celles des pics obtenus dans la configuration thin sont toujours supérieures ou égales à  celles des pics obtenus dans la configuration thick. En particulier, on remarque que les harmoniques 2, 3, 5, 7 et 8 dans la configuration thin sont à plus de 4dB de ceux de la configuration thick, ce qui signifie que ces pics sont au moins deux fois et demi plus intenses.

Dans cette expérience, on peut également identifier le bruit. L’analyseur de spectre étant sans doute moins performant que dans l’expérience de Dan Laurin, les courbes obtenues sont d’apparence lissée (à moins que cela ne provienne d’une qualité d’enregistrement meilleure dans mon expérience, la prise de son se faisant de façon numérique ?). Il n’est donc pas possible d’identifier le bruit par l’épaisseur des courbes obtenues. En revanche, comme la référence d’intensité est la même pour les deux courbes, la position des minima situés entre les pics donne une information sur le bruit de fond. En effet, plus les minima sont bas, plus le bruit est atténué. On a donc relevé la position des minima sur les deux tracés obtenus.

 

 

 

Thick (en dB)

Thin (en dB)

Fondamental/1er harm

-41

-46

1er harm/2nde harm

-48

-49

2nde harm/3ième harm

-42

-42

3ième harm/4ième harm

-48

-60

4ième harm/5ième harm

-45

-46

5ième harm/6ième harm

-54

-59

6ième harm/7ième harm

-54

-52

7ième harm/8ième harm

-45

-55

 

 

En dehors du minima situé entre le 6ième et le 7ième harmonique, tous les minima de la configuration thin sont inférieurs à ceux de la configuration thick. Cela semble donc confirmer le fait que le bruit de fond est moins important dans la configuration thin que dans la configuration thick. C’est sans doute cette atténuation du bruit de fond qui permet aux pics dans la configuration thin d’être plus marqués que ceux de la configuration thick en particulier dans les fréquences supérieures à 5kHz. Enfin, on retrouve aussi dans la zone 6-8 kHz des différences éloquentes.

On peut donc dire que ces résultats sont en adéquation avec ceux de Dan Laurin. Si ces expériences ne montrent pas un lien direct entre la prononciation des voyelles et le timbre de la flûte à bec, ils permettent néanmoins d’affirmer que les effort vocaux ne sont pas vains.

Les conséquences significatives et reproductibles de ces efforts à travers la flûte se retrouvent surtout dans les hautes fréquences, à la différence de la voix. Mais les hautes fréquences concernées restent dans un domaine parfaitement audible et les effets sur le timbre sont tout à fait perceptibles par l’auditeur.

 

 

VI- Mise en évidence des différentes attaques

 

La flûte à bec est reconnaissable au bruit de souffle et aux partiels étrangers à la note se produisant au moment de l’attaque. Ce moment, appelé transitoire d’attaque est très important et caractérise à sa façon la flûte à bec. On dit, en effet, qu’un instrument se reconnaît à son attaque. Une attaque de piano accolée à un son de guitare donnerait la sensation d’entendre du piano tout le long de l’écoute.

Le transitoire d’attaque de la flûte à bec a une durée relativement faible. Selon Michèle Castellengo, il va de 30 à 100 ms à la flûte traversière alors qu’il avoisine les 10 ms à la flûte à bec. La précision et la netteté de l’attaque sont donc une des qualités de cet instrument. Les méthodes anciennes et modernes de flûte à bec décrivent une quantité d’articulations variées que l’instrumentiste emploie pour donner vie à son jeu. S’il souhaite « durcir » son interprétation, il emploiera des attaques dures telles que : Te, Ke... . S’il souhaite au contraire une mélodie « coulante » il optera pour des attaques douces : Le, Ne, Re... .

Ces différentes articulations étant fondamentales dans l’interprétation d’un morceau à la flûte à bec, j’ai voulu savoir si ces attaques étaient reconnaissables dans l’affichage de la forme d’onde. J’ai donc enregistré plusieurs échantillons de La à la flûte soprano, chaque enregistrement présentant une attaque différente. Voici les formes d’ondes correspondantes :

 

Sans mouvement de langue

 

Attaque « de »

 

Attaque « ge »

 

 

Attaque « le »

 

Attaque « ne »

 

 

Attaque « re »

 

Attaque « te »

 

On remarque une certaine ressemblance entre les attaques dures De et Te, ainsi qu’entre les attaques douces Le et Ne. L’attaque Re introduit un signal périodique très caractéristique. Il est donc possible de voir l’effet des différentes attaques sur la forme d’onde. Cependant, cet affichage ne permet pas de faire une étude poussée. On comprend simplement, d’après ces formes, qu’il doit être très complexe de synthétiser fidèlement le son de la flûte à bec. En effet, pour s’approcher de l’instrument, le synthétiseur devrait pouvoir reproduire ces différentes attaques à différents moments. Ces formes sont en réalité extrêmement difficiles à mettre en équation. Et quand bien même les scientifiques arriveraient à reproduire l’effet de chaque attaque, il faudrait alors envisager un clavier supplémentaire pour chacune d’elles ! Ce dispositif deviendrait extrêmement complexe à jouer et correspondrait encore à une approximation car un musicien ne fait jamais deux fois de suite exactement la même attaque.

Dans l’exécution d’une œuvre, l’interprète réalise, en effet, des milliers de sons différents. Ces derniers n’ont jamais la même hauteur, le même spectre, ni les mêmes transitoires, qu’elles soient d’attaque ou d’extinction. Enfin, les sons n’auront pas la même forme, dans l’interprétation, suivant ce qui les suit et ce qui les précède.

En fait, l’intérêt du jeu par ordinateur se trouve essentiellement dans la virtuosité. Un ordinateur, réalise sans difficulté un grand nombre de notes par seconde. Dans un mouvement lent, sont emploi peut être remis en cause.

 



[1] voir bibliographie [Michèle Castellengo ]

[2] voir annexe n°2  Echelle en décibels

[3] voir bibliographie[Michèle Castellengo ]

[4] voir bibliographie[Michèle Castellengo ]

[5] voir bibliographie[Michèle Castellengo ]

 

[6] voir bibliographie [Jean pierre Dalmond]

[7] voir bibliographie [Dan Laurin]

[8]  recherches appliquées à la thérapie ou à l’apprentissage du langage.